Le Château de Bougainville à Suisnes
Suisnes est un lieu-dit de la commune de Grisy-Suisnes (77 166) dans le département de la Seine-et- Marne. Suisnes est situé à 47 km du coeur de Paris, 18 km de Melun et 25 km de Lagny. Le château de Suisnes est inscrit à l'inventaire des monuments historique depuis 1941.
1) Histoire du Château de Suisnes
C'est une maison bourgeoise à la campagne qu'on appelle le "vide bouteille de la Baratte", que Bougainville a achetée pour se reposer. Un "vide bouteille" est une petite maison de plaisance avec jardin, près de la ville où l'on se réunit pour boire ou se divertir.
Elle fut probablement construite vers 1650 par Nicolas Sainctot, maître d’hôtel du roi et introducteur des ambassadeurs à la cour. Elle était constituée d’un corps de logis principal, avec une petite cour, de part et d'autre de laquelle se trouvaient deux petits pavillons reliés au corps de logis formant plusieurs appartements et une chapelle.
En 1684, elle fut aussi la propriété de madame Des OEillets, maîtresse de Louis XIV.
Bougainville en fait l’acquisition le 26 juillet 1799 (8 thermidor an VII) et le revend le 7 juillet 1809.
Le baron de Noirmont l'achète en 1851 et en 1856 fait l’acquisition du domaine voisin, le château seigneurial construit en 1499 avec son parc à l'anglaise. Ce nouvel ensemble fait 17 hectares.
Duchenne père puis Duchenne fils se succèdent et détruisent le château seigneurial en 1899. Aujourd'hui, il ne reste plus que le pavillon nord. Les murs mitoyens sont abattus et une nouvelle circulation générale a été créée.
En 2000, une liquidation judiciaire provoque l'abandon du domaine. Le château est pillé puis saccagé, le parc retourne à l'état sauvage. Repris en 2006, par Tanguy de Vienne, le site fait depuis l'objet d'une restauration progressive.
Vestige du pavillon nord du château seigneurial
Cadastre en 1808
2) Bougainville et le château
Le 26 juillet 1799, Bougainville, à l'âge de 70 ans, s’installa avec sa femme, Marie Joséphine Flore de Longchamps-Montendre, âgée de 39 ans et leur quatre enfants, Hyacinthe Yves Philippe Potentien, âgé de 17 ans, Amand Charles Augustin, âgé de 13 ans, Jean Baptiste Hyacinthe Alphonse, âgé de 10 ans et Adolphe Louis Olimpe, âgé de 3 ans.
Mais il souhaite plus d'espace et agrandit l'aile sud du château. On lui doit en outre, l'ajout de trois pavillons du même style que la construction primitive : une grande salle à manger, un petit salon rond pour madame de Bougainville avec vue sur le canal et pour monsieur le baron une grande salle de billard décorée à "l'antique" couverte d'une coupole.
François Joseph Bélanger, architecte et paysagiste, aménage l'aile sud du château et la passerelle pour traverser le canal.
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Un devis de maçon montre que Bougainville avait l'intention d'aménager un rez-de-chaussée dans l'aile ouest, donnant sur le canal, une orangerie et une salle de bain avec décor de rocailles et des objets curieux provenant du jardin des plantes. Ce devis daté de juin 1806 ne fut jamais exécuté car madame de Bougainville mourut quelques semaines plus tard.
Un procès verbal dressé le vingt-neuf floréal an huit (le 19 mai 1800) par le juge de paix du canton de Brie-sur-Yerres, atteste que la fontaine et le lavoir à l'angle du parc de Suisnes, le long du chemin qui conduit de Suisnes à Évry, a été construit par Bougainville sur un terrain qui lui appartenait pour servir aux habitants de Suisnes. Le lavoir
Le 24 mai 1801 (le 4 prairial an IX), le fils de Bougainville, Amand Charles Augustin, âgé de 16 ans, lors d'une balade en barque sur la rivière de l'Yerres, probablement pour épater ses amies, se positionna debout sur les bords de l'embarcation et simula de couler le bateau. Mais il glissa et fut accroché par un clou qui dépassait. Le père accourut quelques instant après, mais il ne réussit pas à sauver son fils dans les eaux mouvementées du cours d'eau.
Effondré par le chagrin et la douleur, il se serait exclamé en pleurs dans les bras de son jardinier : "C'est le plus grand malheur de ma vie ! J'ai navigué sur toutes les mers, j'ai fait le tour du monde et mon fils s'est noyé dans un crachat".
Amand a été enterré au cimetière de Montmartre à Paris.
(Acte de décès) La rivière l'Yerres Madame de Bougainville ne se remit jamais de cette tragédie et fut emportée par la maladie le 6 août 1806 à l'âge de 47 ans. Elle fut enterrée avec son fils à Montmartre.
Marie Joséphine Flore de Longchamp Montendre Bougainville en plus de perdre son fils, venait de perdre son épouse bien aimée ! Le château était devenu trop grand pour lui et ses 3 fils, il décida donc de revendre le château en 1809. A plus de 81 ans, il se retira à Paris pour y finir ses jours. Bougainville s’éteignit le 31 août 1811 à Paris.
Son corps repose au Panthéon et son coeur fut inhumé dans le cimetière de Montmartre aux côtés de sa femme et de son fils. 3) L'intérieur du château Le château possède un rez-de-chaussée avec des plafonds à la française, une cuisine, un office, une cave, une salle de bain, 8 chambres (dont une au-dessus de la cuisine dite printanière, une au rez-de-chaussée ayant vue sur la cour et le parterre et une servant de chapelle), une garderobe formée par l'alcôve, une salle à manger (pièce monumentale à 12 colonnes en faux marbre), dôme à caisson en trompe l’oeil., une salle de billard, une antichambre du petit salon, un salon et deux cabinets au 1er étage ainsi qu'un petit. En tout, le château a une superficie d'environ 800 m².
Il y avait du parquet style Versailles, des boiseries du 18ème siècle, des cheminées, une bibliothèque ainsi qu’un vestibule ovale. La salle à manger | Boiserie |
Inventaire après décès de Marie Joséphine Flore De Longchamp Montendre 4) L'extérieur du château De part et d'autre de la propriété, un mur clôt le parc de 17 hectares. Il comprend de petits ruisseaux qui descendent vers la rivière (l'Yerres), un lavoir, une statue, un canal et des serres.
On peut découvrir des vestiges du château seigneurial, l'ancien canal et les deux grottes de rocailles servant de culées à l'ancien pont.
L’existence d'un canal semble attestée dès la fin du XVIIème siècle. En 1892, il finit par être comblé sur sa partie nord sous la direction du paysagiste Henri Duchêne. Il mesurait environ 150 mètres de long sur 9 mètres de large.
Dans les années 1920, une piscine fut aménagée dans la partie restante. Elle fut comblée dans les années 1980.
L'ancien canal (piscine) avec les grottes de rocailles L'ancienne piscine La façade générale est une alternance de brique et de pierre, d'enduit jaune et de hauts combles couverts en ardoise. C'est une façade typique du néoclassique.
La façade Nord : appelée façade de l'horloge, avec roses des vents et l'horloge. Aujourd'hui disparues. La façade Est : petite terrasse ronde en pierre qui était l'ancienne l'entrée principale. La façade Sud : C'est à l'architecte de Bougainville François-Joseph Bélanger que l'on doit cette nouvelle façade qui forme un étonnant mélange d'architecture Louis XII et de néoclassicisme à la mode en cette fin de XVIIIe siècle avec son escalier éventail orné de quatre colonnes doriques surmontées d'un fronton triangulaire (représentant deux lions alliés gardiens d'une flamme montée sur un trépied duquel jaillit des éclairs et autour de laquelle s'enroule un serpent). La façade Ouest : vue sur le canal avec balcon. 5) Bougainville et les roses En 1785, Bougainville acheta un château dans le fief de la Brosse à Fourches et avait comme voisin, au château de Courquetaine, la famille des marquis de Vigny, qui avait pour maître jardinier, Pierre Louis Cochet. Il vendit ce domaine et acheta le château de Suisnes.
Après cet achat, Bougainville engagea le fils du jardinier de Courquetaine, Pierre Christophe Cochet, âgé de 22 ans en 1799. Pierre Christophe Cochet |
Il était chargé de l'entretien et de l’agrandissement des jardins et des serres du château. C’était un jeune homme brillant – "jeune et intelligent, passionné par la botanique" selon Bougainville - il se passionnait comme lui et sa femme pour les plantes et les fruits exotiques. Dans les serres, il parvint à obtenir des ananas, des bananes, de la canne à sucre et parvint à avoir des fleurs tout l'année pour Madame de Bougainville. Il s’intéressa particulièrement à la culture des rosiers et créa une longue et belle allée des roses pour le grand bonheur de la famille Bougainville.
Conscient de la valeur de son jardinier, Bougainville l'encouragea à installer une véritable roseraie. En 1802, avec l’aide financière de Bougainville, Christophe Cochet acheta le prieuré de Vernelles où il installa sa toute première roseraie. Grâce aux recommandations de l'amiral, la roseraie Cochet devint très réputée dans la région et connut un réel succès . Prieuré de Vernelles La pépinière Cochet s'installa au Plouy (ou fief de Bréda) et étendit sa production ainsi que le nombre de variétés de roses grâce à la maîtrise des greffes. Peu après, les roses de Chine arrivèrent en France, grâce à l’impératrice Joséphine.
Le fief de Bréda Il décéda le 19 octobre 1819 et sa roseraie comptait déjà plus de 75 variétés de roses. Mais, par bonheur, ses descendants poursuivirent sans interruption la culture des roses à Suisnes. Au début du XXème siècle, la production prit une telle ampleur qu’on avec mit en circulation un train spécial pour acheminer les roses jusqu’aux halles.
Scipion Cochet (1833-1896), petit-fils de Christophe Cochet, créa en 1877, le célèbre et réputé "Journal des Roses", revue mensuelle servant de relais entre les rosiéristes amateurs et les professionnels. Cette revue spécialisée traitait des procédés de culture, des innovations ainsi que de nombreux sujets sur les différentes espèces de roses,... Le dernier numéro est daté d'août 1914.
Charles Cochet (1866-1936), arrière-petit-fils de Christophe Cochet, raconte dans une lettre à Madame de Saint-Sauver (petite-fille de Bougainville) qu'il a planté aux quatre coins de la sépulture du navigateur, au cimetière Montmartre, un rosier de la variété "Bougainville" créé par sa grand-mère, bru de Christophe Cochet, il y a 110 ans.
Rose Bougainville
Avec le décès de Charles Cochet, disparaît la dernière "grande figure" de la rose pour la famille Cochet à Grisy-Suisnes.
Après la première guerre mondiale, les rosiéristes durent faire face à la concurrence Hollandaise. Toutefois, aujourd'hui encore, quelques descendants des Cochet produisent des roses à Grisy- Suisnes...
Plus d'informations : Musée de la Rose
Sources :
- Archives départementales 77 : cadaste, état civil, inventaire après décès, carte postale
- Archives départementales 75 : inventaire après décès de Bougainville
- Livre : GRISY-SUISNES son Historie et ses ROSES, par Gérard Charles Cochet en 2006
- Photos de l'intérieur du Château : Tanguy de Vienne : Jardins de Bougainville